Nous nous retrouvons pour le second volet de l’épisode « Darmanin ».
Comme vous le savez, nous avons appelé à un rassemblement devant le CA ce matin à 9h pour protester contre cette nomination. Rappelons que sa désignation devait être sanctionnée d’un vote de la part des membres du CA. Vote qui était tout sauf un vote d’opinion puisque la majorité des administrateur-rice-s sont opposé-e-s à ce que G. Darmanin siège au CA mais sont pieds et poings liés par le chantage aux subventions de la Région.En effet, la plupart des membres du C.A. ont justifié leur choix de vote (pour ou abstention) en raison d’une impuissance financière de l’IEP difficile à mesurer et par l’argument selon lequel le C.A. serait difficilement le lieu de l’expression du racisme de M. Darmanin, qui serait certainement absent à la plupart des réunions de toute manière. Ce que nous reprochons à ces arguments, c’est la capitulation des membres du C.A. face à une rigueur budgétaire qu’iels refusent de combattre et ce qu’elle illustre: la banalisation d’idées politiques racistes et réactionnaires, l’acceptation à demi-mot d’un personnel politique que l’enseignement que nous avons reçu au sein de cet établissement n’a cessé de décrier et dénoncer.
Nous avions cette semaine préalablement envoyé des mails aux élu-e-s des professeur-e-s pour connaître leur position et à Benoît Lengaigne pour lui expliquer la nôtre.
Nous sommes donc arrivé-e-s vaillamment ce matin à 8 heures, notre plan d’action en tête et les mains quand même un peu tremblantes. Pas si facile de s’opposer à 21 personnes (le CA moins les personnalités extérieures qui n’étaient pas invitées à ce CA moins nos 3 élu-e-s) représentant étudiant-e-s, professeur-e-s et personnels.
Car aujourd’hui nous ne nous sommes pas rassemblé-e-s mais nous avons tenté d’abord par le blocage puis par l’occupation et la perturbation d’empêcher le CA de se tenir. Notre revendication était la suivante : le CA ne se tiendra pas tant que le nom de Gérald Darmanin ne sera pas remplacé par un autre pour représenter la Région au CA, ou qu’au moins une autre candidature pour la région (en plus de celle de Darmanin) soit proposée, pour avoir deux choix.
A 8h40, nous avons installées des tables bloquant le couloir permettant d’accéder à la B 2.6-7(la salle du CA), sur lesquelles nous avions disposé croissants et thé, pour accueillir les administrateur-rice-s. L’idée de cette action était tout de même de rester dans la bonne humeur pour pouvoir faire passer plus aisément nos revendications.
Nous avons été un peu déçu-e-s en voyant qu’illes partaient tou-te-s en nous voyant : on s’était préparée-s à faire face à leurs discours véhéments !
Mais nous n’avons pas été déçu-e-s par la suite.
Le CA a très vite été déplacé en salle Bourdieu, suite à la décision du président du CA, Michel Lascombe, qui est venu nous l’annoncer en personne (sans même daigner prendre un croissant). Nous avons cependant refusé que le CA se tienne tant que n’avait pas été envoyée de convocation par mail indiquant le changement de salle ; nous voulions une trace écrite et une convocation réglementaire. Mais apparemment le CA a le droit de changer de salle de réunion de manière discrétionnaire et en passant par l’oral seulement (rien dans le règlement du CA ne précise quoi que ce soit à ce sujet).
Nous avons envahi le CA, toujours dans l’optique de l’empêcher de se dérouler tant qu’une discussion collective sur une autre personnalité n’aurait pas été tenue.
Pour cela, le seul moyen était de perturber le CA de l’intérieur ; nous avons donc mis de la musique et discuté bruyamment. Après nous avoir ignoré-e-s, au moment où M. Lascombe est revenu nous avons été menacé-e-s de passer tou-te-s en commission disciplinaire. On ne nous laissait donc pas le choix car face à une menace aussi grande nous ne pouvions pas prendre le risque de rester dans la salle. Nous sommes donc sorti-e-s, convaincu-e-s que Gérald Darmanin ne pouvait être élu dans le confort feutré de la salle nommé, ironie du sort, Pierre Bourdieu. Nous avons donc entonné chants et slogans perturbant ainsi un CA qui finira par accepter que Gerald Darmanin, ait désormais le même pois que n’importe lequel des représentant-e-s des étudiant-e-s ou des professeur-e-s. Sans surprise, notre action a été jugée comme immature, non démocratique et sans fondement de la part des autres membres du CA.
Nos élu-e-s resté-e-s dans la salle ont été empêché-e-s de s’exprimer, et nos revendications ignorées, alors qu’un-e professeur-e avançait aussi l’idée d’une candidature alternative. La réponse du directeur à cette proposition était qu’il « ne se sentait pas de demander un autre nom à la Région », avec qui il veut garder une bonne relation. Pierre Mathiot, notre ancien directeur et élu des professeur-e-s qui s’est targué de « bien connaître Darmanin, car il siégeait en tant qu’élu étudiant lorsqu’[il] était directeur », a affirmé que c’était « mal connaître Darmanin que de le dire FN » et qu’il n’avait jamais été condamné (pour racisme), ce qui semble être le seul critère pour refuser quelqu’un au CA. Continuant sa justification maladroite dans laquelle il tentait de démontrer que Darmanin était, au fond, un mec très bien, il nous a reproché de ne pas connaître son histoire, son père et ses antécédents sociologiques. Bref, tous les arguments étaient bons pour démontrer (et se convaincre soi-même) à quel point cette nomination était, au final satisfaisante. Heureusement qu’une élue étudiante était elle persuadée de son argumentation (et c’est bien la seule) consistant à mettre en avant le fait que Darmanin était le seul à avoir posé une question au gouvernement sur la dotation. Nous avons du mal à voir le rapport avec le racisme et la xénophobie (et avons eu du mal à ne pas répliquer par le point Godwin « Hitler était végétarien »). Selon elle, il est par ailleurs « irrespectueux » de dire à un ancien élève qu’il n’est pas le bienvenu dans son école…
Même l’argumentation de la sacro-sainte « image de Sciences Po » n’a pas suffi à les convaincre puisque c’est nous qui, en protestant d’une autre manière que par le vote de nos élu-e-s, nuisons à l’image de Sciences Po Lille.
On nous a également reproché de nuire à la démocratie: Est-ce plus démocratique de voter pour une personne désapprouvée par 90% du CA, certain-e-s allant même jusqu’à déclarer qu’ils ne siègeraient pas en présence de Gerald Darmanin, mais qui sous une contrainte budgétaire donne leur assentiment de force ? Est-ce que nous aurions été écouté-e-s si nos élu-e-s avaient simplement exprimé leur désaccord avant leur vote « contre » ?
Au final, le vote a bien eu lieu, et c’est avec regret que nous vous annonçons ces chiffres : sur 21 votant-e-s, 12 voix « pour », 7 abstentions et 2 voix « contre » : celles de Sud.
On nous a également reproché d’imposer notre volonté aux étudiant-e-s ; pourtant sur les 9 votes exprimés, seule une voix de la part des élu-e-s étudiant-e-s était favorable à Darmanin.
Et nous comprenons que les élu-e-s qui se sont abstenu-e-s l’ont fait par pragmatisme financier : c’est bien pour cela que nous avons voulu les décharger de ce choix entre convictions et responsabilités en bloquant le CA, c’est-à-dire en reportant la décision. Nous voulions satisfaire d’une part la Région qui aurait quand même eu un-e représentant-e au CA, et d’autre part les membres du CA qui auraient vue parmi leurs nouveaux membres une personne faisant plus consensus. C’est donc épuisé-e-s et contrarié-e-s que nos élu-e-s ont quitté la salle Bourdieu, ramassant les derniers croissants abandonnés sur les tables, au milieu des débris de grands discours républicains, et d’idées de barrage à l’extrême-droite que certain-e-s venaient de perdre. On les a ramassées ces idées et on les a gardées dans nos poches, au cas où on nous les demanderait.
Mais le combat ne s’arrêtera pas là, même si nous déplorons néanmoins de devoir en venir à de tels moyens d’actions, seuls leviers face à une Direction fermée à nos arguments, comme elle est fermée à bon nombre des revendications étudiantes. Nous réfléchissons maintenant à nous rassembler devant le Rectorat, qui doit approuver en dernière instance cette « proposition » du CA, pour protester contre sa nomination définitive. Mais nous assurons surtout que nous serons présent-e-s à chaque CA où M.Darmanin souhaitera siéger pour affirmer : « Non, il n’est pas le bienvenu dans l’école qui l’a formée, cette école ne peut accueillir en son sein des personnalités tenant des propos racistes ». Alors en attendant, on retourne à notre militantisme, on retourne écouter Mathiot nous expliquer que la politique c’est des discussions de couloir mais surtout on retourne en cours de Sciences Politiques et on ouvre grand nos oreilles pour ne pas finir comme le « mauvais élève » que nous décrivent certain-e-s professeur-e-s.