Le salaire social étudiant


Partie 1 – Le compte-rendu des deux commissions

1/ Quelques définitions et le contexte général Nous avons souhaité débuter la commission par un certain nombre de définitions qui permettront à tous les adhérent-e-s de s’approprier la question.

  • revenu : ensemble des moyens monétaires et financiers dont dispose un individu
  • salaire : « prix de la force de travail », prix fixé dans le contrat de travail, il compose une partie du revenu
  • cotisation : part du salaire qui est « socialisé » pour financer la protection sociale
  • salaire social : moyen par lequel s’effectue la redistribution du salaire socialisé par les cotisations

Pour comprendre les enjeux de la question, il paraissait de plus utile de rappeler un certain nombre de faits que la Fédération notamment a mis en évidence, à partir du rapport Dauriac. En France, à l’heure actuelle, un étudiant sur deux est salarié-e. Il s’agit donc d’une tranche bien particulière d’individus qui doivent occuper un emploi pour s’assurer un niveau de vie décent via la perception d’un revenu. Or, ces mêmes individus sont pour la plupart contraints par le système capitaliste, dans le sens où ils doivent acquérir un certain niveau de qualification afin d’acquérir ensuite un emploi relativement stable et ainsi garantir leur subsistance future. Leur subsistance est donc doublement soumise au système capitaliste et au rapport salarial qui le sous-tend, tant en ce qui concerne la subsistance présente que la subsistance future. Sur un plan plus pratique, il peut très vite apparaître pour ces étudiant-e-s une incompatibilité entre ces deux types d’exigence en concurrence que sont respectivement le travail salarié et le travail lié aux études. Les études longues (master, doctorat…) paraissent très vite inaccessibles et les études courtes se déroulent dans des conditions difficiles. Les étudiants non salariés sont eux soumis à un autre type de contrainte :ces étudiant-e-s doivent leur subsistance aux différents revenus de leurs parents. A l’évidence mieux loti-e-s que les premiers, ils souffrent là encore de cette « double soumission au système capitaliste » puisqu’ils sont contraints de se former pour assurer leur subsistance future, mais ils dépendent pour leur subsistance présente des revenus que percevront leurs parents, et donc en partie de leurs salaires. Sur un plan plus pratique, c’est ici l’absence d’un droit à l’autonomie qui est ici mise en perspective. S’instaure une dépendance et une « infantilisation » contraintes par des motifs économiques, qui paraissent inacceptables pour des personnes jugées « majeures » et pour leur dignité. Il faut aussi rappeler que ces étudiant-e-s doivent pour la plupart, occuper des emplois temporaires en raison de préoccupations essentiellement pécuniaires. La commission tient de plus à prendre en compte un ensemble d’individus qui ont été « exclus » du monde étudiant traditionnel (l’enseignement supérieur) en raison justement de leur incapacité à concilier exigences de subsistance et exigences étudiantes. Ces personnes n’ont pu se cultiver librement, n’ont pu acquérir une qualification et sont rentrées complètement sur le marché du travail. Ainsi, le mot « étudiant-e » sera parfois relativisé par des guillemets dans la suite de l’exposé dans le sens où la commission voudra dépasser son cloisonnement universitaire et considérera globalement comme « étudiant-e », l’ensemble des personnes désireuses de se former avant l’obtention de leur premier emploi. Il faut remarquer que les systèmes de bourse et l’aménagement des emplois du temps pour les étudiant-e-s salarié-e-s ne paraissent pas être en capacité de remédier à tous ces problèmes. Dès lors, la commission de façon assez pragmatique signale qu’un revenu pour les « étudiant-e-s » permettrait d’amoindrir voire d’éliminer l’une des deux « contraintes capitalistes » dont souffrent les « étudiant-e-s », à savoir l’idée que leur subsistance présente dépend du système capitaliste ; cela permettrait tout autant de remédier sur un plan plus pratique, aux difficultés quotidiennes auxquelles se heurtent les « étudiant-e-s » et qui découlent directement de cette contrainte.

2/ Deux choix de financement Deux choix de financement sont alors possibles :les cotisations sociales ou l’impôt. Lorsque le revenu est financé par les cotisations, on parle de salaire social. Ce sont les salarié-e-s qui décide d’affecter une partie des salaires au financement de la protection sociale. Traditionnellement, l’État ne peut intervenir ni dans la gestion, ni dans la distribution du salaire socialisé. Dans le cas du salaire social étudiant, les salariés décideraient en fait d’affecter une partie des salaires (sous forme de cotisations spécifiques) au financement du risque lié à l’inadéquation entre l’activité étudiante et le travail :une cotisation sociale que l’économiste B. Friot propose de qualifier de « pré-salaire » pourrait ainsi être créée. Il faut signaler que la logique de cotisation s’inscrit dans le mouvement historique des revendications ouvrières et salariées (retraite, santé…). Contrairement à ce qui est souvent dit, les pensions de retraite françaises ne sont pas « un salaire différé » ; ce sont les salariés actuels qui décident de mutualiser une partie de leur salaire et de le distribuer immédiatement aux personnes qui ont quitté la sphère de l’emploi en raison du dépassement d’un âge limite fixé par le législateur. Dans cette perspective défendue depuis la fin du 19ème siècle par les mouvements ouvriers français, les salariés unis (le retraité est un salarié ici) décident de s’assurer un niveau de subsistance assez élevé, dans les périodes où il est contraint par le système capitaliste d’entrer dans une sphère de non-emploi. Les cotisations sociales françaises étant fixées par des taux identiques pour tous les salariés, chaque salarié contribue également à la protection sociale et à son financement. La logique de l’assistance est ainsi évitée. De plus, le salaire social est ici versé en raison de la qualification dont jouit le « salarié » et surtout, en raison de son statut de « salarié » en proie aux aléas du système capitaliste. Un financement du salaire social par les cotisations sociales poursuivrait l’extension de la protection sociale à la française, qu’a revendiquée le mouvement ouvrier durant des décennies :les salariés s’organisent ainsi indépendamment de l’État, pour mettre fin aux inégalités que créent le capitalisme en cherchant à assurer les « salarié-e-s » pris dans leur généralité (étudiant, retraité-e-s, chômeu-se-r-s, salarié-e-s).

Avec l’impôt c’est l’État qui gère et redistribue le revenu étudiant. L’État centralise par l’intermédiaire des impôts un ensemble de ressources financières et les redistribue aux individus jugés en difficulté en terme de subsistance. À ce titre, le RMI qui est versé aux chômeurs est financé par l’impôt. Un revenu étudiant financé par l’impôt serait donc versé aux étudiants en raison des difficultés qu’ils rencontrent pour assurer financièrement leur subsistance. Or, ici, le risque est fort de transformer les étudiant-e-s en assisté-e-s a fortiori en France où on arrive à des situations où par exemple, le RMA est financé par la TIPP. La façon dont est organisé l’impôt en France fait que les bénéficiaires d’un revenu financé par l’impôt sont très vite considérés comme des assistés vivant sur le dos de la collectivité qui a les moyens de payer des impôts. L’individu touche dans cette perspective un revenu non pas en raison de sa qualification mais en raison de son manque. Ainsi, un revenu étudiant par l’impôt paraît beaucoup plus négatif et surtout beaucoup moins « anti-capitaliste » :le système se contenterait ici de « corriger » les inégalités issues du capitalisme.

Il paraît dès lors logique que la première commission valide à l’unanimité (Agathe, Aurélien, Lionel) l’idée d’un revenu financé par les cotisations sociales et donc l’idée du salaire social étudiant. Il faut signaler par ailleurs que Colline adoptera elle aussi lors de la seconde réunion, cette position.

3/ Le salaire social « étudiant » Après avoir adopté l’idée d’un financement par les cotisations sociales du revenu étudiant, la commission cherche à préciser un certain nombre de points relatifs à la question du salaire social « étudiant ». Le salaire social « étudiant » serait versé à l’ensemble des « jeunes » en formation avant l’obtention de leur premier emploi à condition qu’ils se déclarent fiscalement indépendant-e-s de leurs parents. La question de l’âge est une question que la commission se déclare dans l’incapacité de trancher. Elle signale toutefois qu’une jeune apprentie de 16 ans ne peut se voir refuser le salaire social « étudiant » en raison de son âge ; elle est elle aussi en formation. Il existe ainsi un ensemble de cas particuliers qui pourraient donner lieu au versement d’un salaire social et qui ne sont pas maîtrisés dans leur globalité par la commission. De plus, la commission rejette catégoriquement l’idée que ce revenu pourrait être différencié en fonction du revenu des parents :toutes les personnes qui seraient concernées par ce revenu sont d’après la définition dans la même situation car elles souhaitent acquérir une qualification avant l’obtention de leur premier emploi. Elles subissent donc toutes la contrainte capitaliste liée à la subsistance future des individus (exposé dans le1/), elles rentrent donc potentiellement dans la catégorie du « salariat » que nous avons définie de manière assez large dans le 2/ et la société ne leur a pas encore reconnu de qualification précise (contrairement par exemple au cas des retraité-e-s qui perçoivent des salaires sociaux différents en raison de leur qualifications acquises lors de leur vie active, par l’intermédiaire des conventions collectives notamment) :dès lors, ces « étudiants » seraient tous égaux dans leur non qualification percevraient tous un salaire social équivalent au salaire minimum garanti par la société, à savoir à l’heure actuelle le SMIC (950€ net aujourd’hui environ). La taxation du capital est bien sûr rejetée par la commission comme mode de financement du salaire social « étudiant » uniquement :cela reviendrait à faire dépendre la protection sociale de la bonne santé des transactions financières et surtout, cela constituerait une rupture par rapport à la démarche du salaire socialisé. Un mouvement social de grande ampleur nous paraît être nécessaire pour faire aboutir cette revendication. Il est évident que la commission préconise la poursuite de nos revendications quant à la généralisation des bourses. Quant à la revendication de l’UNEF relative à l’obtention d’un « allocation d’autonomie » différencié pour tous les étudiants et apparemment financé par l’impôt, la commission souhaiterait que le syndicat cherche plutôt à dépasser et à préciser cette idée d’ « allocation d’autonomie », et ne s’enferme pas dans une opposition stérile entre salaire social « étudiant » et « allocation d’autonomie ».

4/ L’extension du salaire social Dès lors, la commission souhaite rappeler que l’extension et l’amélioration de la protection sociale à la française doivent bénéficier non seulement aux étudiant-e-s mais aussi aux chômeurs, aux retraité-e-s et à l’ensemble des salarié-e-s. L’axe revendicatif n’est donc pas seulement constitué par l’obtention d’un salaire social étudiant mais avant tout, par la généralisation et l’amélioration du système de protection sociale. En effet, au moment où le système par répartition des retraites et la protection sociale sont fragilisés en France par les attaques répétées du néo-libéralisme, il paraît décisif d’insister sur le fait que c’est avant tout en nous montrant solidaires des autres « salarié-e-s » (retraités, salariés, chômeurs) que nous parviendrons à faire aboutir la revendication du salaire social « étudiant ».

Partie 2 – Texte d’orientation

Sud étudiant-e Lille revendique le droit pour tout « jeune » (la question d’âge étant à déterminer) en formation se déclarant fiscalement indépendant de ses parents, de percevoir un revenu avant l’obtention d’un premier emploi stable. Le syndicat justifie cette prise de position par le souci de mettre fin à la « double oppression capitaliste » qui contraint ce-tte « jeune » dans sa subsistance future, mais aussi dans sa subsistance présente :en percevant un revenu assez élevé, la ou le jeune en formation pourrait s’affranchir au moins en partie, de la dépendance qui fait passer sa subsistance présente sous le joug du système capitaliste et du rapport salarial qui le sous-tend. Sur un plan plus pratique, la perception d’un revenu pour la ou le « jeune » en formation permettrait aussi à celle-ci (ou celui-ci) de remédier aux nombreuses difficultés que celle-ci (ou celui-ci) rencontre quotidiennement pour faire coïncider les exigences du monde « étudiant » avec celles du travail salarié. Elle permettrait aussi à d’autres « jeunes » en formation d’acquérir le droit à l’autonomie, composant essentiel de la dignité d’individus que la société juge « majeur », « adulte » ou encore « responsable ». Elle permettrait enfin à nombre de « jeunes » ayant été exclu-e-s ou ayant fini par être exclure du monde de l’enseignement supérieur pour des motifs strictement économiques de réintégrer le monde « étudiant ». Sud étudiant-e Lille préconise de financer entièrement ce revenu par les cotisations sociales en créant une cotisation spécifique à la question, et ainsi d’intégrer le risque « étudiant » à la protection sociale française. Cela permettrait d’éviter la logique d’assistance en intégrant le ou la jeune en formation dans le système d’assurance financé par le salaire socialisé. Il ou elle percevrait un revenu non en raison de son manque, mais en raison de son statut potentiel de salarié soumis comme tous les autres aux aléas du système capitaliste. Le salaire social « étudiant » réintégrerait le ou la jeune en formation à la vaste classe du salariat (salarié-e-s, chômeurs, retraité-e-s, chômeuses) et comprendrait une dimension anti-capitaliste plus aboutie. A ce titre, on parlerait de salaire social « étudiant » dans le sens où ce revenu proviendrait d’une part du salaire que les salarié-e-s actuel-le-s ont décidé d’affecter à la couverture d’un risque inhérent au système capitaliste, à savoir que le (ou la) « jeune » pour assurer sa subsistance future, doit acquérir une qualification bien définie. Sud étudiant-e Lille propose de fixer ce salaire social « étudiant » unique et indifférencié à hauteur du salaire minimum garanti par la société, à savoir le SMIC à l’heure actuelle. Ce salaire social serait unique et indifférencié car tous les jeunes en formation quel que soit le revenu de leurs parents sont potentiellement concerné-e-s par la « double oppression capitaliste » détaillée auparavant. Ces jeunes sont de plus égaux dans leur « non qualification ». La question de la suppression des bourses ou encore celle de l’instauration d’une durée maximale de formation font partie d’un ensemble de questions tout à fait légitimes que Sud étudiant-e Lille n’a pas vocation à trancher dans l’état actuel des choses. Elles doivent entrer dans le cadre d’un débat citoyen et démocratique qui ne pourra avoir lieu que lorsque l’idée du salaire social « étudiant » et plus généralement celle d’un revenu « étudiant » seront plus amplement mises en question. C’est bien évidemment le salariat dans sa globalité (retraité-e-s, salarié-e-s, chômeuses, chômeurs, « étudiant-e-s ») qui pourra au travers d’un mouvement social de grande ampleur, étendre la protection sociale à l’ensemble des jeunes en formation. Ainsi, Sud étudiant-e Lille loin de s’enfermer dans des revendications de type corporatiste, s’engage face aux attaques d’inspiration libérale que subit en ce moment la protection sociale en France, à rester solidaires de l’ensemble du salariat, et à lutter à ses côtés pour l’extension du salaire socialisé et de la protection sociale.

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