A.G.C.S. : un engrenage infernal


A.G.C.S. … Ces quelques lettres devraient normalement faire frémir tout citoyen attaché au maintien de services publics de qualité dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, de la santé, de la culture, du transport, des services postaux, des télécommunications et bien sûr de l’éducation. Ces domaines clés de la vie en société sont en effet menacés par l’ Accord Général sur le Commerce des Services ( A.G.C.S. ) ; un accord signé et cautionné par nos gouvernements dans le cadre de l’ Organisation Mondiale du Commerce ( O.M.C. ) . Ces gouvernements au travers de cet accord, proclament que tous les services sont désormais de simples marchés à ouvrir à la concurrence internationale . Ainsi, dans cette optique, l’éducation n’est plus un droit mais une simple marchandise. La signature de l’AGCS par une centaine de pays en 1994, est le fruit d’un long travail de sape des firmes multinationales auprès des gouvernements entamé dans le cadre du G.A.T.T., au début des années 80 . Les Etats-Unis et la Commission Européenne se sont alors très vite convertis aux joies du commerce international déréglementés.

Qu’est ce que l’ A.G.C.S. ? Ce traité traduit tout simplement l’ engagement de nos gouvernements à libéraliser jusqu’à l’extrême, l’ ensemble du commerce international des services : ainsi, nos gouvernements ont comme l’affirment les considérants 2 et 3 du texte ainsi que son article 19, pour objectif d’ « élever progressivement le niveau de libéralisation du commerce des services ». Les Etats atteindront ce but « par des séries de négociations successives qui auront lieu périodiquement » (article 19 ). Lors de chaque série de négociations, chaque pays sera invité à procéder à de nouvelles libéralisations de secteurs de services qu’il ne s’était pas jusqu’alors engagé à libéraliser. Selon l’ accord, « les services comprennent tous les services de tous les secteurs, à l’exception des services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » ( article 1 ) et un « service fourni dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » est « un service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services » (article 1 ) . Il est bien évident que les domaines de l’éducation, de la santé ou de l’ environnement pour ne citer qu’eux, sont dans presque tous les pays, en situation de concurrence entre un secteur public et un secteur privé . Dès lors, l’ A.G.C.S. s’applique bien à la totalité des services à l’exception notable de la défense, de la justice et de l’administration des pouvoirs locaux et centraux .

Le traitement de la nation la plus favorisée, la transparence et les « disciplines » Trois règles générales sont ensuite imposées par l’ A.G.C.S à tous les Etats membres de l’ O.M.C : le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence . La première règle oblige chaque pays à accorder à tous les fournisseurs de tous les Etats membres un traitement identique à celui qu’il accorde au fournisseur de service de l’un d’entre eux. Si un pays A accorde des immunités fiscales à une entreprise de pompage d’eau d’un pays B, il est obligé de faire la même concession à tous les autres fournisseurs. Cette première règle est une obligation commune à tous les accords de l’ O.M.C. . Au titre de la transparence, chaque Etat doit communiquer à tous les autres l’ ensemble de ses lois et réglementations ( à un niveau national comme à un niveau plus local ) concernant les services en question et les adaptations qui leur sont apportés pour se conformer aux décisions de l’ O.M.C. ( article 3 ). Nos gouvernements entendent enfin se soumettre à des « disciplines » en matière de lois et de réglementations ; celles-ci ne devant en aucun cas être « plus rigoureuses qu’il est nécessaire » pour éviter que ces réglementations ne constituent « des obstacles non nécessaires au commerce des services » ( article 6 ). L’ O.M.C. a déjà identifié certaines de ces réglementations : des limitations à la redevance pour l’eau, le gaz ou l’électricité pour des personnes nécessiteuses, les exigences qualitatives, le salaire minimum garanti … Par le biais de cet accord, les Etats prennent donc des engagements en ce qui concerne la libéralisation d’un service donné. Or, un engagement est irréversible . En effet, selon l’article 21 de l’ A.G.C.S., si un Etat avait le malheur de revenir sur ses engagements et allait par-là même à l’encontre du « toujours plus de libéralisation », il devrait négocier des compensations financières avec l’ensemble des 143 autres pays membres de l’ O.M.C. . Si aucun accord n’était trouvé, l’ Organe de Règlement des Différends ( O.R.D. ) réglerait le litige. La conclusion de cette partie est limpide : libéraliser le commerce international des services de façon floue, globale et extrême comme le texte de l’ A.G.C.S. le sous-tend, cela revient à privatiser l’ensemble des services et à en faire des marchandises censées être rentables. Nos gouvernements ont cautionné le fait que toute intervention publique fussent-elles destinées au bien commun, sera soumise à des sanctions internationales pour le pouvoir public concerné. En prenant l’exemple de l’ Education Nationale en France, un service public en concurrence avec le secteur privé donc concerné par l’ A.G.C.S., si le commerce international est libéralisé dans ce domaine ( hypothèse apparemment insensée mais on l’ a vu, tout à fait cohérente ), une entreprise privée d’« éducation » pourra attaquer l’ Etat français devant l’ O.R.D. et aura en toute logique, gain de cause. La France devra privatiser son système public d’éducation.

Panel de déclarations ou « quand l’ A.G.C.S. se transforme en mots » Voilà quelques déclarations pour montrer que l’ A.G.C.S. n’ est pas qu’ un texte … « Il faut rendre nos universités compétitives sur le marché mondial de l’ enseignement supérieur. » Viviane Reding commissaire européenne à l’ « éducation » et à la « culture » ( 2000 ) « l’ éducation et la santé sont mûres pour la libéralisation » un représentant de l’ Union Européenne auprès de l’ O.M.C. ( 2000 ) « Les plus grandes barrières au commerce dans les services de l’éducation et de formation sont les règles qui empêchent les sociétés ayant un but lucratif d’ opérer dans certains pays : l’éducation et la formation pourraient être prodiguées à un coût moins élevé là où elles sont nécessaires. Pourtant, de nombreux pays continuent d’ empêcher les sociétés américaines de mener des programmes de formation ou de dispenser un enseignement payant. » Robert Zoellick, le représentant des Etats-Unis pour le commerce L’ « Adoption d’un système de diplômes facilement lisibles et comparables, entres autres par le biais du « Supplément au diplôme », afin […] d’améliorer la compétitivité du système d’enseignement supérieur à l’échelle mondiale ». C’est l’un des objectifs affichés par les ministres européens en 1999 lors de la déclaration de Bologne, qui annonce l’ensemble des réformes européennes de l’enseignement supérieur.

Où en est-on de l’ A.G.C.S. ? Lors de la quatrième conférence ministérielle de l’ O.M.C. à Doha en novembre 2001, l’ Union Européenne considérant que les négociations n’ avançaient pas assez vite, a demandé et obtenu la mise en place d’ un mécanisme de demandes et d’ offres de services à libéraliser, qui sera suivi de négociations bilatérales ayant vocation à faire avancer la libéralisation du commerce international « façon AGCS ». La Commission négocie dans cet optique pour tous les pays de l’UE. Il faut signaler que les élaborations des offres et des demandes par l’ U.E. se font dans une totale opacité et ne sont soumises à aucun contrôle des citoyens européens qui n’ ont même pas la possibilité de connaître les engagements de l’ Union. Des citoyens persévérants ont récemment réussi à obtenir les documents relatifs aux engagements de l’ U.E. en matière de libéralisation du commerce des services. Il apparaît ainsi clairement que l’ U.E. en la personne de Pascal Lamy, s’est engagé pour 2005, à offrir aux affres du commerce international dérégulé, les services informatiques, les services environnementaux ( l’ eau ), les transports, une grande partie des services postaux. Il est important de souligner que ceci n’ est qu’ une base de départ pour les négociations générales qui vont s’ engager maintenant entre les pays et cette dans cette perspective que le problème pour l’enseignement supérieur européen doit être analysé.

Le cas de l’enseignement supérieur européen Au-delà du fait que nous savons dorénavant que la privatisation de l’ enseignement supérieur est prévu à terme, il est intéressant de préciser ce qui se trame sur ce dossier dans les hautes sphères de l’ Union. Les Etats-Unis ont demandé à l’ Union d’ouvrir l’enseignement supérieur à la libéralisation du commerce international « façon A.G.C.S. ». On connaît la puissance de persuasion de cette superpuissance économique qui a fait de la libéralisation du commerce international une priorité. On sait aussi que les hauts fonctionnaires de l’ U.E. et surtout des chefs d’ Etat et de gouvernement ne seraient pas contre cette marchandisation de nos universités. Dès lors, il n’ est pas aberrant de considérer que l’ enseignement supérieur public est actuellement en grand danger et pourrait être sacrifié avant 2010. Un grand secret entoure en tout cas ce dossier et personne ne peut donc contester cette hypothèse. Au contraire, comme nous l’avons vu, nombreux sont les indices qui laissent à penser que l’ idée d’ un service public n’ est plus à l’ ordre du jour dans ce secteur. Il serait naïf ainsi de croire que le grand chantier n’ a pas commencé. La réforme LMD adopté il y a deux ans avait pour origine la déclaration des ministres européens de l’ Education à Bologne. Ne parlent-ils pas dans cette déclaration de « rechercher une meilleure compétitivité » ( internationale ) de nos universités ? Le projet d’autonomie des universités en France qui proclame l’ entrée en force du privé dans nos facs, est toujours à l’ ordre du jour. Cette marchandisation avance donc bien déjà à petits pas.

Faire du monde une mosaïque de zones « hors A.G.C.S. » De plus en plus, des collectivités territoriales, des établissements publics et des associations adoptent une motion déclarant leur « zone hors A.G.C.S. ». Ainsi, la région Nord-Pas de Calais s’ est déclaré « zone hors A.G.C.S. » par l’ intermédiaire du Conseil Régional. L’ université Montpellier 2 en a fait de même. Nous aussi, déclarons nos villes et nos université « hors A.G.C.S. » afin d’ interpeller l’ensemble de l’ opinion publique sur la marchandisation prochaine de tous les services !!!

source :www.attac.org

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