Insertion professionnelle, la fausse bonne idée


Le projet de loi « relatif aux libertés des universités » qui sera examiné fin Juillet à l’assemblée nationale après la lecture au sénat comporte de nombreux point très nocifs pour l’enseignement supérieur et SUD étudiant-e demande son retrait. Les différents aspects de cette loi vont être prochainement expliqués sur notre site, cet article est uniquement consacré à la modification de l’article 123-3 du code de l’éducation définissant les missions de l’université, aux 4 missions déjà existantes (la formation initiale et continue, la recherche scientifique et technique ainsi que la valorisation de ses résultats, la diffusion de la culture et l’information scientifique et technique, la coopération internationale) il y a ajout en position 3 de la mission d’insertion professionnelle.

Dans un premier temps on peut s’interroger sur cet ajout réalisé non pas en cinquième position mais en troisième : l’explication la plus probable est que c’est pour faire plaisir à la confédération étudiante (organisation étudiante sans existence réelle sur les universités mais qui arrive tout de même a réaliser de très bon scores électoraux via une communication très importante peu de temps avant les élections) qui a mené une campagne d’affichage demandant que l’insertion professionnelle devienne la troisième mission de l’université, ignorant qu’il en existait déjà 4. En la plaçant en position 3 elle permet a cette organisation d’être un peu moins ridicule.

Dans un second temps il est possible de se demander si cette mesure est réellement une bonne idée. Avant d’y répondre il faut déjà replacer cette idée dans son contexte : elle s’inscrit dans un processus dit de « professionnalisation » des formations de l’université. En clair le patronat, en position de force, estime qu’au lieu de former lui même les diplômé-e-s à ses besoins spécifiques il est plus lucratif de contraindre les universités à former les étudiant-e-s à ses besoins spécifiques. Historiquement il existe une répartition claire des missions de chacun, l’université enseigne un champ de connaissance et une méthodologie scientifique a chaque étudiant-e, son champ de connaissance et sa méthodologie lui permettant de s’adapter à un grand nombre de métiers potentiels. Ce qui fait par exemple que traditionnellement la plupart des banquier-e-s anglais-e était recruté-e-s parmi les diplômé-e-s en philosophie, les recruteurs reconnaissant leur méthodologie et leur esprit critique. La banque leur fournissait une formation en interne spécifique au métier et aux produits spécifiques de la banque. Un tel système permettant à la fois de former des individus détenteurs d’une rigueur scientifique les rendant aptes à exercer des postes à responsabilité (administrer un service par exemple) et permet d’avoir des disciplines scientifiques vivantes au sein des universités.

Mais le patronat qui y trouvait globalement son compte s’est dit qu’il était possible d’avoir un système qui leur soit un peu plus profitable et a fait pression sur les universités pour qu’elles se mettent à former aux besoins précis des entreprises (sous le prétexte fallacieux qu’une plus grande adaptation aux besoins des entreprises réduirait le chômage des jeunes, ce grotesque mensonge est curieusement très bien passé). Sous la pression les universités ont donc développé à coté des ses formations classiques des formations improprement appelées « professionnalisantes » (improprement puisque toutes l’étaient déjà de façon indirecte puisque le taux de chômage décroît avec le niveau d’étude et ce quel que soit le domaine d’étude) en général plus courtes, qui se sont mises à former, par exemple, aux métiers bancaires. En toute logique les banques se sont mises à recruter ces personnes : elles disposent de connaissances théoriques plus faibles mais les entreprises font de substantielles économies de formation. En conséquence les enseignements généraux se sont vus progressivement privés d’une partie des débouchés professionnels. Il s’est donc effectué un transfert de recrutement vers ces nouvelles formations. Au final on améliore aucunement le taux d’emploi global des diplômé-e-s mais on remet en cause l’enseignement des savoirs généraux et l’approfondissement de ces savoirs (la recherche). Au final cette pression patronale sur l’université aura considérablement fragilisé l’enseignement et la recherche.

L’insertion professionnelle est un peu dans le même esprit, en utilisant le même argument fallacieux, le chômage des jeunes, on nous dit qu’il faut :

  • « professionnaliser » encore plus les enseignements (donc continuer a éliminer l’essence de l’université, en fragilisant l’enseignement on fragilise aussi la recherche qui par souci de pertinence a été historiquement couplée, cela a fait la force des universités). Bien sûr les enseignements seront vite obsolètes puisqu’ils sont adaptés le plus exactement possible (c’est l’objectif en tout cas) aux besoins directs des entreprises à un moment donné. L’étudiant-e n’ayant pas eu l’enseignement théorique suffisant il lui est impossible de s’adapter, la technique change, la machine change, le travailleur-se est remplacé-e aussi.
  • « faciliter l’entrée dans l’entreprise », en clair en soumettant l’étudiant-e après l’obtention de son diplôme (ou même avant, dans ce cas c’est l’employeur qui évaluera l’étudiant dans l’arbitraire le plus total) à une plus ou moins longue période de stage (bien sur non rémunérée) sensée avoir pour but de mettre en confiance l’entreprise. Le message est clair : tu bosses gratos, tu es bien servile et si tu as de la chance tu auras droit à un autre stage débouchant peut être vers un CDD lui même débouchant peut être sur un autre CDD débouchant peut être sur un CDI (dans ces conditions il est bien sur inutile d’espérer être traité-e dignement, se voir appliqué-e les règles élémentaires en matière d’hygiène, de sécurité ou de condition de travail ou même avoir la moindre emprise sur sa propre vie, en plus on remplace des emplois donc on crée du chômage).
  • éliminer tout esprit critique et toute démarche d’émancipation par la connaissance. L’entreprise pouvant définir la formation que recevra l’étudiant-e elle ne va pas s’embêter avec des enseignement qui ne lui servent pas et encore moins qui lui nuisent (du droit du travail par exemple).

Avec l’adaptation aux besoins directs des entreprises on a régionalisation des enseignement et disparition des diplômes nationaux. Outre le flou que provoque un tel éclatement (multiplication de diplômes non comparables) il y a disparition de la possibilité d’inscrire dans les conventions collectives (de branches ou d’entreprise) des minimums de rémunération basés sur ces diplômes. Ce qui conduit à une régression généralisée des rémunérations et de divers acquis sociaux.

Un petit retour sur l’abus qui consiste à faire de l’insertion professionnelle la solution pour répondre au problème du chômage. Cet argument est utilisé par le gouvernement et surtout par quelques organisations étudiantes. Si cet argument a peut-être un sens individuellement si on encourage la mise en place d’un véritable marché du travail où les salarié-e-s se font concurrence les un-e-s aux autres en mettant en avant leur plus grande formation devant l’employeur, il n’en a absolument aucun collectivement. En condamnant ces arguments qui sont des plus nauséabonds pour les solidarités salariales, SUD étudiant-e revendique l’idée que ce n’est pas les formations universitaires qui sont responsables du chômage. Le chômage est un fléau qui touche l’ensemble de la population et qui est lié au manque d’initiative et à la conversion aux doctrines néo-libérales des différents gouvernements depuis une vingtaine d’années. En privilégiant des politiques de casse des réglementations publiques en matière de relations de travail et en baissant les salaires (salaire direct et cotisations sociales), ces gouvernements ont contribué à l’exacerbation du chômage et de la pauvreté des salariés. C’est la hausse des salaires, le développement de la protection sociale et la relance des services publics qui mettront fin au chômage. Les débats de 2006 à l’occasion de la lutte contre la Loi dite d’ »égalité des chances » ne disaient pas autre chose, preuve en est la position exprimée à cette occasion par les économistes et les sociologues de Lille 1 par le biais d’un texte disponible sur notre site.

En conclusion la logique d’insertion professionnelle c’est

des personnes :

  • moins bien formées
  • moins bien traitées
  • moins bien payées
  • moins bien informées.des universités :
  • sous influence
  • ne pouvant plus assurer les autres missions que cette nouvelle troisième mission

En réalité les seuls étudiant-e-s pour qui il est réellement pertinent de faire de l’insertion professionnelle (dans ce cas c’est uniquement de l’aide à l’insertion) sont les étudiant-e-s handicapé-e-s, l’insertion professionnelle pouvant être un outil de compensation de la discrimination qu’ils subissent dans le monde de l’entreprise.

L’inscription dans l’article 123-3 du code de l’éducation en troisième position de l’insertion professionnelle est une des raison de lutter contre cette loi. La suite des raisons très prochainement.

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