Rapport de Terra Nova sur l’enseignement supérieur, rien de bon pour l’université


La fondation Terra Nova a publiée en cette fin de mois d’Août un rapport sur l’enseignement supérieur très repris par une presse nationale manquant un peu de matière en cette période estivale. Certaines mesures proposées par ce cercle de réflexion assez influant et se qualifiant de progressiste (bien que cette qualification lui soit régulièrement contestée) sont assez inquiétantes pour l’avenir de l’enseignement supérieur en France.

Ce rapport rassemble en fait un grand nombre de petites propositions, certaines de portée mineure, d’autres changeant fortement la situation si elles étaient appliquées. Mais cela est assez courant. Ce qu’il l’est moins c’est ce curieux assemblage de mesures vaguement ou clairement progressistes et de mesures franchement réactionnaires. Les objectifs affichés sont parfois des plus sympathiques comme « réconcilier les citoyens avec leur université » ou des conceptions auquel tout progressiste adhérera telles que « la réussite du plus grand nombre n’est pas incompatible avec un système sans sélection » mais les propositions en découlant ne sont pas à la hauteur des grands principes édictés. Aucune vraie remise en cause de la loi LRU qui a tant fait de mal à l’université en laminant sa démocratie interne déjà insuffisante et en faisant rentrer massivement dans son fonctionnement des acteurs externes à la communauté universitaire aussi illégitimes qu’inutiles et incompétents. Dès lors comment penser réconcilier le citoyen avec l’université quand on nie à la communauté universitaire le droit à une organisation interne démocratique ? Et pourquoi convenir fort justement de l’inutilité de la sélection à l’entrée de l’université alors même qu’on la propose à l’entrée du M1 tout en ne pouvant ignorer que de plus en plus les étudiants auront presque tous besoin du niveau master pour réussir dans la société ? Le rapport dit même que « Notre objectif prioritaire doit être d’élever le niveau d’éducation et de qualification de nos jeunes » Ces incohérences sont étonnantes mais elles sont encore nombreuses dans ce rapport.

Le rapport constate, avec raison, le caractère obsolète et injuste socialement des grandes écoles, et les problèmes des BTS, mais ces propositions sont là encore inadaptées, jamais l’intégration de tout l’enseignement supérieur dans l’université n’est proposé alors que c’est la seule façon de résoudre réellement le problème posé dans une démarche progressiste. Cela résout d’un seul coup un nombre colossal de problème et permet enfin d’appréhender dans sa globalité et en cohérence la question de l’enseignement supérieur. Sur l’échec en premier cycle, qui est effectivement un vrai problème, on oublie de dire trois choses essentielles : la première est que l’enseignement pré-universitaire a de nombreuses difficultés, ces difficultés sont liées aux manques de moyens et a des logiques de ségrégation sociale qui induisent une grande hétérogénéité de niveaux à l’entrée de l’université, ce qui est bien sur facteur d’échec. La seconde est que nombre d’étudiants s’inscrivent dans une formation universitaire soit par défaut après avoir échoué dans l’accès à une filière sélective soit en attendant de passer tel ou tel concours soit pour tester cette formation mais en ayant hésité avec telle ou telle autre. La troisième est que la réussite universitaire nécessite des conditions socio-économiques suffisantes, devoir se salarier en parallèle de ses études, devoir faire trois heures de trajet par jour, ne pas manger à sa faim ou avoir des problèmes de santé… Tout cela, et bien d’autres chosent, pèsent sur la réussite. Tout ces facteurs que nous pourrions qualifier d’« externes » jouent fortement sur l’échec en premier cycle peut être plus surement que les facteurs « internes » sur lesquels on joue un peu avec des mesures comme le « Plan Licence » qui en outre a des effets secondaires parfois lourds sur les facteurs « externes », une hausse des heures d’enseignement pourrait être positive en considérant que les facteurs « internes » mais en considérant l’ensemble des facteurs pourra être négative car elle jouera un rôle de sélection sociale (cours ratés en raison du travail, fatigue liée aux longs trajets…). Et les financements pour résoudre ces facteurs tant « internes » qu’« externes » sont durablement insuffisants. Sur la recherche, le rapport constate, avec raison que « l’efficacité de la recherche se trouve souvent dans le fait même de ne pas être soumise à des impératifs de rentabilité immédiate », et conteste donc fort logiquement le financement par projet qui, cela est bien connu de la communauté scientifique, gadgétise la politique de recherche et oblige à moult travestissements des projets de recherche pour rentrer dans ces logiques de financement. Cela a un effet profondément néfaste sur la recherche mais le rapport est incapable de proposer une solution satisfaisante en matière d’affectation des moyens alors que cela peut être fort simple, il suffit de faire confiance à la communauté universitaire. Il faut fédérer les universités au niveau national et cette nouvelle structure de coopération et de mutualisation disposera d’une légitimité démocratique issue de l’expression de la communauté universitaire dans son ensemble et affectera les moyens, dont l’enveloppe générale est décidée par la représentation nationale, aux établissements en fonction de critères définis par cette communauté. Cette solution qui résout le problème de l’affectation des moyens permet aussi moult progrès tel que l’harmonisation des intitulés et grandes lignes des contenus des formation au niveau national, des mutualisations très nombreuses car les établissements ne sont plus des concurrents, l’intégration possible de la recherche dans les universités tout en maintenant une stratégie nationale de recherche, la progression spectaculaire dans les classements internationaux (regroupés ainsi, les établissement n’ont plus a se soucier d’un quelconque classement qu’ils dominent inévitablement et peuvent se consacrer à des choses plus importantes)… Point positif de ce rapport, il constate la grande et croissante précarité des étudiants et les insuffisances de l’action publique actuelle, par exemple en matière de logement CROUS, mais se garde bien de proposer un plan de construction aussi ambitieux que nécessaire, surement impressionné par l’aspect titanesque de la tâche. Cette demi-satisfaction est bien vite refroidie quand, cédant aux sirènes du libéralisme le plus débridé, le rapport propose une hausse importante des frais d’inscription, bien sur c’est dans le but d’aider l’université et les étudiants ! Dans la sphère dominante on n’a jamais vraiment toléré que les fils ou filles d’ouvriers puissent s’asseoir sur le même banc qu’un fils de cadre supérieur ou pire de dirigeant d’une grosse entreprise. On enrobe cela des meilleures intentions du monde mais l’idée est bien d’instaurer une sélection sociale brutale à l’accès à l’enseignement supérieur. Nous rappelons pour ces pseudo-progressistes que l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté à New York le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies stipule que : « L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité ». Et bien sur Terra Nova pour permettre aux étudiants de payer ces frais propose… des prêts bancaires. L’étudiant n’aurait alors pour seule solution que de s’endetter sur 20 ou 30 ans comme c’est souvent le cas aux États-Unis. Car nul ne doute que cette hausse massive s’accompagnera d’autres hausses massives. Partout en Europe les étudiants, et parfois toute la communauté universitaire, se bâtent contre des hausses de frais d’inscription et là, au nom de la justice sociale Terra Nova propose d’ériger des murs infranchissables aux pauvres autour des universités. Nous avons un peu de mal à y voir là la pensée progressiste ! Ce qui est curieux dans ce rapport c’est que derrière une démarche progressiste affichée ressort surtout l’intérêt des puissances entreprises transnationales qui financent Terra Nova et qui ont besoin d’une université servile qui leur fournit des employés dociles et à l’employabilité forte et de chercheurs fragiles prêts à leur brader les fruits de leur recherche. L’intérêt général passe alors au second plan même si il n’y a là probablement aucune malveillance. Espérons juste que ce rapport ne sera pas vraiment suivi et que les progressistes authentiques pourront se faire entendre. On remarque tout de même de nombreuses anomalies autour de Terra Nova, sa position libérale sur la réforme des retraites par exemple, mais aussi la présence au sein de la direction d’un ancien doyen d’établissement privé d’enseignement supérieur et dans ses personnalités des personnes comme la très libérale Julie Coudry qui s’est surtout illustrée sur Lille pour ses propos révisionnistes en 2005.

 

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