« Pierre Mathiot : Nous ne sommes pas à Sciences Po-Aix… pas encore. »


Benoit Lengaigne : « Il faut assumer le fait que ce soient des clients, des marges, des chiffres d’affaires. »

Lors de ce CA a été fait un bilan des dispositifs de formation continue à l’IEP; les mots employés pour les décrire font peur. En effet ce bilan ressemblait plus au bilan financier d’un responsable d’une branche quelconque d’une grande entreprise, dissertant de l’ouverture d’un nouveau marché, qu’à la description d’un module d’enseignement dans une école d’enseignement supérieur publique.

Alors, comment fonctionne la formation continue, chers spécialistes de l’IEP ?

« La formation continue intervient dans un cadre concurrentiel marchand, il s’agit donc de mettre en place de véritables stratégies innovantes qui nous permettront d’exister sur ce marché, nous avons à définir quelles stratégies nous devons mettre en place. »

« Il faut d’abord s’inscrire dans une logique de stratégies locales,  c’est-à-dire régionales. Nos dispositifs doivent être composés de thématiques pointues et de niches qui nous permettrons d’être concurrentiels. L’objectif est de faire bénéficier le monde professionnel de nos savoir-faire. N’oublions pas d’ailleurs que la formation continue est une mission de service public. Mission à travers laquelle nous avons l’occasion d’augmenter la notoriété de l’école. »

« Voici les grandes lignes du développement d’un projet de formation continue : Il faut d’abord réaliser une veille stratégique : c’est-à-dire suivre l’évolution du domaine et de la concurrence pour étudier les opportunités de ce marché et les nouveaux produits que nous pouvons développer pour y être efficace. Des experts analysent donc le marché, dans le but d’établir des produits qui ont une chance de rencontrer une demande. Nous développons donc ensuite des thématiques et des idées. »

« Financeur : Il faut qu’il bénéficie d’un retour sur investissement [Service public disiez-vous ?]. La formation continue doit respecter l’équilibre budgétaire. Par conséquent il faut fixer un prix de vente en adéquation avec le marché. Puis il faut vendre ces produits en allant trouver les clients.  Nous devons avoir une réflexion plus large sur la propriété intellectuelle, notre objectif est d’avoir une démarche de progression qualitative. »

« Il y a des mots qui ont fait rire les camarades de SUD ». En effet on rit… jaune.

Joli jargon n’est-ce pas ? Qui semble ravir notre nouveau directeur, adepte des théories économiques et des relations de marchés. Nous avons d’ailleurs plus eu l’impression d’entendre un cours de micro-économie sur « comment saisir les opportunités dans le cadre d’un marché concurrentiel » qu’une explication sur les dispositifs pédagogiques d’un Institut d’Etude Politique !

Rappelons ce qu’est un institut d’étude politique : l’institut d’étude politique est un établissement public visant à enseigner ce qui touche au monde politique pour donner à ses étudiant-e-s les clés d’analyse de ce monde. Il initie ainsi à la recherche scientifique dans les sciences humaines, mais aussi au journalisme, au droit … ou à tout métier pouvant avoir un lien avec la « chose publique »

Il ne s’agit pas d’apprendre à nos chefs d’entreprises et dirigeants actuels à « bien gérer leur échiquier syndicale » [Objectif officiel de la formation PUMAS proposé par Sciences Po Lille].

Il faut démonter tout de suite l’argument de la mission de service publique. Oui la formation continue est une mission de service publique, au sens où chaque travailleur-se a le droit d’être formé-e tout au long de sa vie professionnelle pour pouvoir continuer à s’enrichir et à s’émanciper [allez rêvons, disons-nous que l’enseignement supérieur émancipe] (Article L6111-1 code du travail). Cette formation est un droit, elle est donc gratuite pour celui qui se forment, un dispositif existe déjà c’est le  Compte personnel de formation (CPF) mais ici il ne s’agit en aucun cas de former gratuitement ceux qui y ont droit, dans un idéal de service publique. Il s’agit d’abord de trouver une source de financement supplémentaire pour compenser le désengagement de l’Etat: pour cela on octroie des services payants, à certaines institutions, sans aucun contrôle contraignant sur leur qualité. Le terme est ici instrumentalisé pour justifier une marchandisation de l’enseignement supérieur, on vend du savoir …  Et encore lorsqu’il y a transmission de savoir car l’un des risques est que, comme à Aix, nous nous mettions à ne vendre plus que notre marque.

Aix ? Un lointain que nous ne connaitrons jamais ?

C’est ce que nous pouvions imaginer, jusqu’à ce qu’un-e professeur-e en plein Conseil d’administration fasse ces déclarations :

« J’ai été sollicité je me suis fait avoir, je me suis fait tromper. « 

Elle-il explique la désinformation et le peu de transparence qui entourent la formation continue, les professeurs sont sollicités sans véritablement comprendre ce pour quoi on leur propose de travailler, à un tel point qu’ils refusent parfois ultérieurement ce qu’ils avaient accepté. Mais trop tard, les contrats sont signés et l’IEP est engagé. Que se passe-t-il alors si les professeurs refusent ? Des vacataires sont employés, et la qualité de la formation n’est absolument plus garantie. Si l’IEP se presse trop, et s’engage trop vite, cela revient donc bel et bien à vendre sa marque….

Un problème de conflit d’intérêt est également soulevé : une personne travaillant pour l’IEP travaillerait en même temps pour une entreprise privée. La frontière entre ces deux fonctions semblent fines, et une professeure interroge : on ne sait pas quand il travaille pour qui ? Les adresses mail et les CV des enseigant-e-s chercheur-se qu’il prend on ne sait pas à quelles fins il les utilise …

Ces problèmes qui éclatent au grand jour dans le Conseil d’administration, sont immédiatement minimisés par la Direction, incapable de voir que les dangers dont ils estimaient « avoir conscience » surviennent sous leurs yeux plus tôt que prévu. Devant les accusations de professeurs la direction paraît néanmoins embarrassée et finit par laisser un blanc, coupable …

« Il y a eu une maladresse de sa part » P.M

« Vous exagérez… Vous faites d’un petit bobo une généralité. » B.L

Nous dénonçons la marchandisation de l’enseignement supérieur, qui ne fait que nuire à sa qualité. L’enseignement ne doit pas être compétitif, il ne doit pas répondre aux besoins d’un marché, il doit être émancipateur, libre et gratuit.

Il s’agit bel et bien là d’un nouveau moyen de financement de l’enseignement supérieur et de la rechercher, Des mots même de notre directeur le Ministère de l’enseignement supérieur pousse les établissements à aller dans cette direction !

Un plan prévisionnel pour les 5 ans à venir prévoit par ailleurs de doubler les recettes liées à la formation continue, toujours sans aucun contrôle !

 

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