LMD : un bilan après un an d’application


L’ « Adoption d’un système de diplômes facilement lisibles et comparables, entres autres par le biais du « Supplément au diplôme », afin […] d’améliorer la compétitivité du système d’enseignement supérieur à l’échelle mondiale ». C’est l’un des objectifs affichés par les ministres européens en 1999 lors de la déclaration de Bologne, qui annonce l’ensemble des réformes européennes de l’enseignement supérieur, au premier rang desquelles la réforme LMD-€CT$.

Partie 1 :Problèmes rencontrés après sa toute récente mise en place sur Lille 3, Lille 1 et dans d’autres universités

1/PROBLÈMES SUR LILLE3 Le bilan de Lille3 reprend la contribution du collectif d’étudiantEs et personnels de Lille3, collectif qui s’inscrit dans la continuité du mouvement de l’an dernier et qui regroupe syndiquéEs et non syndiquéEs. Ce bilan est issu pour l’essentiel des comptes-rendus de réunions d’UFR et d’assemblées générales initiées cette année par le collectif.

A] Problèmes posés par le calendrier universitaire de cette année a) Pour les étudiants

  • Semaine pédagogique : Inutile (et inexistante dans certaines filières) puisqu’elle reste sans fondement pédagogique. Elle donne donc lieu à une surcharge de travail clairement inutile, autant pour les enseignants que pour les étudiants. Elle se résume à des activités crypto-pédagogiques non statutaires introduites par l’administration pour justifier les sessions d’examens à répétition.
  • Des examens de la 1ère session se font pendant les cours : Pas de temps de révision pour ces examens qui se font durant la période de cours de la fin du semestre. Examens qui suscitent des problèmes de disponibilité pour les étudiants salariés qui doivent passer ces examens apparentés à du contrôle continu. Ce sont souvent des examens simplifiés (pas de dissertation) pour lesquels il s’agit de cracher les connaissances ingurgitées et où moins de réflexion est demandée. Examens qui amènent également des cours à être supprimés alors que les semaines de cours ont déjà diminué (12 semaines de cours par semestre au lieu de 13).
  • Sessions de rattrapage situées 15 jours après la 1ère session : Délai trop court pour réviser et pour le travail d’assimilation. Pas de consultation de copies entre les deux sessions dans de nombreuses filières ou alors consultation qui se fait parfois mais…après la 2ème session ! Ce rapprochement entre les deux sessions d’examens empiète sur l’activité consacrée à la recherche (perte de temps qui correspond à un mois). Délai trop court pour le mémoire en Master 2 (et en Master 1 quand c’est un travail qui dépasse 40 pages) quand il n’y a pas de dérogation pour le rendre en Septembre. Problème de disponibilité pour les étudiants salariés qui doivent encore une fois en peu de temps négocier avec l’employeur de nouvelles absences sur le lieu de travail. Il arrive alors que l’étudiant salarié choisisse entre renoncer à son emploi (perte de revenus) ou renoncer à passer des épreuves (année échouée). Alors que Lille3 ne donne pas lieu à un véritable régime dérogatoire pour les étudiants salariés, les sessions de rattrapage compliquent davantage la situation de ces derniers : moins de temps pour réviser alors qu’un travail salarié est assumé ; moins de possibilités pour assister à toutes les épreuves, sauf éventuel renoncement à son emploi mais cela au risque de se précariser davantage.
  • Stages : Mauvaise gestion de la conciliation entre calendrier universitaire et périodes de stages, ce qui complique le cursus des étudiants devant impérativement rendre un rapport de stage d’autant plus que ces rapports sont en général à rendre pour juin.
  • Moins de cours : De manière générale on peut également constater qu’il y a moins de cours (12 semaines pour 13 auparavant) et cela s’explique notamment par des périodes d’examens qui prennent plus d’importance en temps dans l’année universitaire (4 sessions d’examens au lieu de 3 auparavant avec alors mise en place d’une session de rattrapage unique) et par deux mois d’interruption des cours entre la mi-décembre et la mi-février, interruption nuisible quant à l’entretien d’une dynamique des études menées pendant l’année. b) Pour les personnels
  • Enseignants : Le calendrier universitaire mis en place cette année donne peu de temps aux enseignants pour corriger les copies, d’autant plus que les corrections sont en général accumulées à des surveillances, contrôles de présence, distributions et ramassages de copies lors des périodes d’examens : à peine une semaine entre les deux sessions d’examens ! Cela a pour conséquences : des examens moins exigeants en réflexion (voire pas du tout) et plus demandeurs en crâchage de connaissances, et ainsi plus simples à corriger (« c’est bon » ou « c’est faux ») ; des corrections limitées pédagogiquement pour les sujets de réflexion quand il y en a (moins de justifications dans l’évaluation de la réflexion posée par écrit par l’étudiant car moins de temps pour la traiter dans sa juste valeur) ; surcharge de travail qui amène de nombreux enseignants à ne pas pouvoir assurer la consultation des copies…du moins entre les deux sessions ! Le rythme tel qu’il est imposé par le calendrier universitaire impute également sur le temps consacré à la recherche qui est pourtant l’une des missions prioritaires des enseignants-chercheurs.
  • Secrétaires : Les secrétaires sont débordés pour l’enregistrement des notes entre les deux sessions d’examens ainsi rapprochées dans le temps (et cela d’autant plus quand des filières sont regroupées sur un même secrétariat). Cette surcharge de travail a pour conséquences : d’une part la fermeture nécessaire de secrétariats durant cette période et d’autre part l’apparition d’erreurs dans les procès verbaux (notes) de la 1ère session. En ce dernier cas, certains étudiants s’acharnent sur les secrétaires alors qu’ils ne sont nullement responsables de cette situation où ils sont débordés de travail de par la faute d’un rapprochement étroit des deux sessions d’examens et qui n’est pas comblé par la présidence (qui est à l’origine de ce calendrier) par une embauche supplémentaire de personnels . c) Rentrée en septembre et suppression de la session de septembre : La rentrée fixée en septembre découle de la suppression de la session de septembre et cela entraîne pour :
  • les étudiants salariés, une présence plus difficile pour l’ensemble des examens (voir plus haut).
  • l’ensemble des étudiants, la fin de la mise à profit de l’été pour avoir la possibilité d’assimiler plus consciencieusement les savoirs afin de rattraper les UE non obtenues et progresser de niveau d’études ; l’impossibilité de financer sa rentrée en faisant les vendanges quand on est précaires et notamment pour les boursiers qui doivent attendre décembre pour obtenir les 1ers versements de la bourse.
  • les enseignants-chercheurs une perte de temps pour la recherche puisque septembre permettait (même avec la session de rattrapage qui ne prenait pas le mois entier) de participer à des colloques (en France mais aussi à l’étranger), de travailler sur des publications,… A souligner que l’un des arguments leitmotiv des partisans de la suppression de septembre est la preuve par les statistiques qu’il y a une faible présence des étudiants pour cette session, ce qui induirait des coûts inutiles. Or ces statistiques sont déjà contestables si on prend en compte le taux de présence en septembre pour les rendus de mémoire : plus de 80% de présence. Cela n’a pas amené nos décideurs à fixer une dérogation pour tous les Masters2 quant à la remise du mémoire pour septembre. Et puis il faudrait voir si les rattrapages de cette année permettent plus de réussite chez les étudiants malgré une présence apparemment plus importante. Au cas où la réussite serait moins importante pour les rattrapages de cette année, cela signifierait que l’université a délibérément sacrifié la réussite des étudiants pour des raisons financières.B] Problèmes posés par les cursus de cette année
  • Beaucoup d’incohérences dans la répartition des crédits ECTS qui en fin de compte ne relèvent pas de la pédagogie, du qualitatif mais du quantitatif : avoir son diplôme signifie avoir ses crédits, peu importe la manière et donc peu importe la formation en termes qualitatifs.
  • Pluridisciplinarité superficielle, enveloppe vide.2/PROBLEMES SUR LILLE1
  • A moyens constants, l’application du LMD pose problème et contraint nombre d’UFR à reporter une partie du coût des études sur les usagers :les étudiants se voient proposer du matériel indispensable à la poursuite de l’enseignement (polycopiés, droit d’usage du logiciel à la charge de l’étudiant, …). De même, face au manque de personnel, les secrétaires pédagogiques se trouvent encore plus débordés qu’auparavant. Les professeurs sont eux aussi débordés et proposent des examens au rabais (qcm) dans certains cas et ce, la plupart du temps dans des matières fondamentales pour la cohérence du diplôme. Les corrections sont parfois de piètre qualité en raison des délais intenables que sous-tend le calendrier de l’administration.
  • La géographie et la sociologie sont regroupées dans le même cursus dès la première année et cela amène une fragilisation de chacune des disciplines. Les cours de troncs communs doivent en effet prendre en compte l’auditoire hétérogène et les niveaux de programme sont donc moins élevés et plus généralistes. Cela signifie donc que ce regroupement ne se traduit pas par une pluridisciplinarité pensée entre les deux disciplines et amène des effets nocifs pour chacune de celle- ci en développant des cours qui s’apparentent à de la culture générale sans grand intérêt.
  • Le calendrier universitaire de Lille fait écho à celui de Lille3 pour ce qui concerne la répétition des examens (en physique, des épreuves initialement prévues pour durer trois heures se réduisent à deux heures afin de pouvoir enchaîner avec d’autres examens) et leur simplification (par exemple en sociologie où des QCM ont remplacé des dissertations) qui ôte l’intérêt pédagogique de l’évaluation. Néanmoins, lille1 se distingue en proposant pour la deuxième année consécutive une session de rattrapage du premier semestre en plein pendant les cours.
  • Incohérences dans la répartition des crédits ECTS ; par exemple un même cours peut apporter un nombre de crédits différents selon la formation suivie alors qu’il s’agit du même « travail » : c’est un cas qui se présente pour des étudiants de sociologie et de biologie.3/LE LMD DANS LES AUTRES FACS : QUELQUES EXEMPLES… Ailleurs en France, les problèmes rencontrés et les craintes formulées face à la mise en place du LMD sont proches de ceux rencontrés à Lille. Pour ce qui concerne la suppression de septembre qui s’est faite dans de nombreuses universités, il a été constaté de manière générale que les rattrapages de juin (et de janvier dans certaines universités) indiquent un taux de réussite à peine meilleur que lorsqu’ils étaient en septembre ; parfois le taux de réussite est même plus bas dans certaines universités qui par conséquent sont revenues aux sessions de septembre.a) Paris 8 : exemple du sort réservé à une discipline non rentable A Paris 8, l’anthropologie est passée de discipline majeure à une mineure de sociologie et fait suite aux directives du Ministère appliquées par les instances décisionnelles de l’université dans le cadre de l’application du LMD (maquettes-navettes votées par les conseils centraux). Par ailleurs, la mise au point des maquettes a occasionné un conflit entre enseignants d’anthropologie (danger de conflit intra UFR qui nous guette tous) et nul programme commun n’a pu être proposé. A Paris 8 l’anthropologie est tout simplement menacée de disparaître dans les plus brefs délais ! Aujourd’hui, un collectif d’étudiants en anthropologie organise la résistance en travaillant sur la définition de maquettes où l’anthropologie n’est pas réduite « au simple enseignement complémentaire de culture générale face aux autres disciplines professionnalisantes en relation directe avec les entreprises » (tract du collectif d’étudiants en anthropologie de Paris 8) . Ce collectif lutte pour défendre sa conception d’une filière complète d’anthropologie, avec enseignement majeur et discipline à part entière de la 1ère année au Doctorat, et comprenant la diversité des approches anthropologiques développées respectivement par les enseignants d’anthropologie de Paris 8. Face à ce combat et à une telle prise de conscience, la présidence de Paris 8 a décidé à la mi- avril 2005 d’expulser ce collectif d’un amphi de Paris 8 qu’il occupait alors pour s’organiser ; suite à cette expulsion policière la présidence a également décidé de fermer l’université de Paris 8 (pour un temps indéfini)…b) Rennes 2La direction de Rennes 2 veut modifier le calendrier universitaire et celui- ci donnerait ceci : suppression de la session de septembre, sessions de rattrapage en juin, moins de temps pour les révisions et les corrections, conséquences négatives pour les étudiants salariés, des semestres plus courts,…en bref un calendrier cousin de celui de Lille3. Un collectif de mobilisation étudiant a vu le jour sur Rennes et regroupe syndiqués et non syndiqués. Il a organisé une occupation de CA en avril 2005 et a réussi à obtenir un report du vote qui devait amener la conduite de ce calendrier pour l’an prochain.

    c) Paris 5 Exemple de rentabilité : trois examens écrits en QCM d’une heure et demi, remplaçant la dissertation ; le nombre d’épreuves finales à baissé. Avec de telles modalités d’examens la pédagogie s’en sort à mauvais compte et le coût financier des partiels baisse (rentabilité quand tu nous guettes !).

    d) Poitiers

    Le CURE (Centre Universitaire de Relations avec les Entreprises) a été implanté sur le campus. Nous avons ici une coopération directe et réelle entre l’entreprise et l’université : établissement de contrats de recherche réalisés par les labos de l’université, hébergement de PME sur le campus, intervention des entreprises dans les formations professionnelles (cours, programmes), stages des étudiants (environ 5000), modules et ateliers de sensibilisation des étudiants à la création d’entreprise, forums Université/Entreprises, formation continue des salariés d’entreprises et la liste continue .

    Partie 2 : Synthèse des problèmes soulevés par le LMD

    1/ Problèmes déjà rencontrés

  • à moyens constants, le personnel de l’université (secrétaires pédagogiques, administration, enseignant – chercheurs…) est débordé. Le service public censé être fournir aux usagers est mécaniquement de moindre qualité. Le contre-argument consistant à dire que la situation est conjoncturelle ne tient pas toujours la route. Ainsi, avec quatre examens et deux jurys chaque année, on voit mal les conditions de travail du personnel et la qualité du service s’améliorer, sauf à supprimer une session de rattrapage ce qui semble envisagé à Lille 2 et à Lille1.
  • incohérences pédagogiques :le temps de cours est de moins en moins long contrairement au temps d’examen. L’examen est de plus en plus une sanction et le temps d’apprentissage est de plus en plus court (problèmes pour les étudiants salariés).
  • filières supprimées
  • des droits étudiants sont déjà passés à la trappe :c’est le cas de la compensation annuelle, entre les modules, entre les UE dans de nombreuses universités. Le droit à l’anonymat des copies passe lui aussi à la trappe. Les frais illégaux d’inscription se multiplient, s’ajoutant à la hausse des frais légaux en raison là encore de la stagnation des moyens et de la mise en application du LMD.
  • début de la mise en concurrence des universités qui doivent fournir des diplômes compétitifs. Le poids du secteur marchand continue de s’agrandir car les concurrents européens et les autres fournissent à peu près le même « package » LMD. Les diplômes sont nommés de la même façon et n’ont plus qu’à être comparés sur leur contenu. Face à la crainte du chômage, les universités n’hésitent plus à insérer de plus en plus le secteur marchand dans les formations dispensés (filières de plus en plus professionnalisées, multiplication des stages…). Là encore, baisse de la qualité du service public qui ne dispense plus des savoirs autonomisés par rapport à la sphère marchande et à ses aléas.
  • incohérences de plus en plus fréquentes dans l’architecture des diplômes délivrés. Là encore, face au manque de moyens, la recomposition des diplômes s’est faite avant tout selon des critères économiques et non selon des critères pédagogiques :on a ainsi assisté à des regroupements comme « socio/géo ». Mais la grande incohérence provient avant tout du profond bouleversement qu’apporte le remplacement d’une « logique de qualification » que garantissait le cadrage national des diplômes par une « logique de compétences » :dorénavant, l’idée n’est plus d’acquérir une qualification cohérente reconnue par les conventions collectives, censée représenter l’intégration de savoirs autonomes, universels et émancipateurs, l’idée est d’accumuler des compétences. Les étudiants sont de plus en plus seuls pour déterminer leur parcours universitaire et sont même parfois incités par l’administration, les enseignants et la réalité des choses (pas assez de places dans un cours choisi) à composer des parcours totalement incohérents. Cela n’est pas du tout gênant dans le cadre du LMD puisque l’objectif de l’université est d’être compétitif (fournir des diplômes rentables) et celui des étudiants est d’accumuler des compétences et des ECTS. Heureusement, pour l’instant, les universités gardent un certain sens de la cohérence.2/Problèmes plus potentiels
  • la mise en concurrence totale des universités qui conduira à une dualité avec d’un côté de grandes universités fournissant pour un prix très élevé de bonnes formations, et de l’autre de mauvaises universités plus petites, se recentrant sur les filières professionnalisantes. Scénario encore plus probable en raison du climat actuel (LOPR, loi d’autonomie, rapport Belloc…). Cette dualité paraît inévitable car le LMD permet la comparaison des contenus.
  • les universités étant amenées à élaborer chacune dans leur coin leur formation, rien ne garantit à un étudiant de pouvoir poursuivre ses études dans une filière et un diplôme d’une autre université même si cette formation porte presque le même nom que le diplôme qu’il avait commencé dans une première université. Ce diagnostic est vrai pour un étudiant de France souhaitant poursuivre à l’étranger comme pour un étudiant de France souhaitant poursuivre ailleurs en France (le cadre national de diplômes étant abrogé). On peut assister très vite à une réduction de la mobilité des étudiants.
  • les universités françaises passant à une « logique de compétence », vont délivrer des diplômes différents dans leur contenu :on assiste donc à une multiplication des diplômes qui se ressemblent de moins en moins et qui correspondent donc de moins en moins aux qualifications reconnues par les conventions collectives en France, des conventions qui garantissent un véritable statut social aux salariés (grille de salaire, conditions de travail…). En multipliant à l’infini les possibilités de diplômes et en rendant par conséquent caduque la formation de nouvelles conventions collectives, les décrets LMD-ECTS semblent donc bel et bien annoncer aussi une remise en cause prochaine du droit collectif du travail.
  • « autonomisation » et « indépendance » totales de l’étudiant dans l’élaboration de son diplôme :multiplication des incohérences pédagogiques avec pour objectif unique l’accumulation des ECTS. Possibilité laissée par l’université de mélanger des domaines très éloignés dans les diplôme (« tricot » avec « histoire de la physique » par exemple)
  • sélection à l’entrée du master (cf LOPR)
  • suppression des sessions de rattrapage pour raisons financières

    Un article de Sud Education sur le sujet

     

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